Dans notre quotidien de coach agile, d’acteur.trice du changement, nous travaillons à détecter et creuser un problème organisationnel, des améliorations possible et à co-construire une transformation.
Dans cette démarche, nous tentons de rendre visible le problème et donc le besoin de changer.
Whenever I run into a problem I can’t solve, I always make it bigger. I can never solve it by trying to make it smaller, but if I make it big enough, I can begin to see the outlines of a solution.
Dwight D. Eisenhower
Cependant, nous n’arrivons pas toujours à faire bouger les organisations.
Pourquoi ? Quelles sont les dynamiques personnelles et collectives qui se jouent face au changement ?
Pour initier la réflexion en entreprise, j’ai créé un jeu : Sinking Island.
La génèse
Habituellement ma démarche de création et celle que je conseille aux personnes que je forme à la création de jeu est de partir d’une intention pédagogique (ex : expérimenter les dynamiques de réorganisation) avant de trouver le ou les moyens de le mettre en œuvre.
Mais des fois il y a des exceptions. Pour Sinking Island, le point de départ fût…
J’ai ressorti récemment le tapis puzzle de ma petite fille de 1 an pour qu’elle puisse jouer. En regardant ce tapis et ma fille enlever 1 à 1 les pièces du puzzle, je me suis dit qu’il y avait un côté inexorable dans la diminution progressive et itérative de l’objet.
Je me suis donc dit : “Et si je faisais un jeu où les joueurs et joueuses se tenaient debout sur le tapis qui diminuerait petit à petit ?”. Me restait à trouver un concept pertinent et innovant.
Très rapidement, mon esprit s’est tourné vers l’atelier SOS du Titanic : perdus dans l’atlantique jeu créé par Xavier Warzee et Philippe Houssin en 2003 (j’y étais) et où les joueurs et joueuses disposés sur un tapis très souple doivent le retourner sans en sortir.
Je voulais cependant aller au delà du discours sur le leadership et les dynamiques de groupe. L’aspect itératif de la déconstruction me semblait apporter une différence notable : il ne s’agit pas pour les joueurs de trouver une manière de fonctionner mais de se réorganiser en fonction de l’augmentation des contraintes.
Une vision agile consiste à augmenter la contrainte pour faire apparaître les limites du système et le faire changer (livraisons rapides, boucles de feedback courtes, timeboxing des réunions, beyond budgeting et autres concepts qui tendent la réalité, rendent visibles les problèmes et forcent la prise de décision).
Mon autre inspiration était ma propre observation des réorganisations : que se passe-t-il quand on réorganise un système qui n’est pas sous tension, qui n’est pas en risque ?
On observe qu’il est difficile de lancer des transformations censées apporter des améliorations du système lorsque ce système est confortable (cf : principe du “Too Big to Fail”, transformation écologique…) et que ce n’est que face au mur, au vide, que le système change, contraint et forcé.
Je vous renvoie pour l’occasion sur le travail de John Paul Kotter grand penseur du changement dans les entreprises, notamment au travers de ses 8 étapes du changement dans Leading Change (et les limites du modèle), de son livre Alerte sur la banquise et le concept de Burning Platform (et les limites de la pratique).
Je remercie chaleureusement Damien Thouvenin pour les ressources précieuses.
C’est sur ce postulat que Sinking Island fût créé.
Sinking Island
Nombre de joueurs : 6-9 (par tapis) + observateurs
Durée : Jeu 10mn + 15-30mn de débrief
Public :
- Équipes et collaborateurs pour parler leadership, auto-organisation et changement
- Managers et CODIR pour parler sens des réorganisations, communication, leadership, changement top down ou participatif
Matériel : tapis puzzle pour bébé
https://www.oxybul.com/jouets-d-eveil/1ers-jouets-d-eveil/tapis-d-eveil/tapis-dalles-sensorielles-en-mousse/produit/333259
Principe du jeu : Des rescapés d’un naufrage sont sur une île instable et doivent faire en sorte de survivre.
L’objectif du jeu est de parler de la nécessité de changer, d’auto-organisation individuelle et collective. De la notion de réorganisation organique liée à un risque, un danger.
Déroulé
- IT 1 : On démarre avec 9 cases, soit assez de place, et on demande au groupe de se positionner sur le tapis.
- IT 2 : On demande au groupe “Organisez vous pour mieux vous positionner sur l’île”. L’objectif de cette phase est de tester ce qu’il se passe lorsqu’on demande à un groupe de se réorganiser sans objectif précis. Si les participants vous demandent “dans quel but”, ne répondez pas ou répétez simplement la consigne.
- IT3-ITplusdeplace : On enlève les cases 1 par 1 et on leur redemande la même chose. Vous pouvez vous appuyer sur des observateurs pour observer ce qui change d’une itération à l’autre.
Deux variantes possibles :- Vous les informez de la case que vous allez enlever et ils doivent la dégager
- Vous leur laisser choisir eux-même la case et enlevez celle qui est libre
Débriefing
- Comment vous sentiez vous dans la premières IT ? Et la deuxième itération ?
- Quels ont été les points de bascule et comment les avez vous ressentis ?
- Comment vous êtes vous organisés ? (façon SOS Titanic)
- Avez vous déjà vécu des changements qui n’avaient pas de sens aux yeux des collaborateurs ? Comment s’est passé la réorganisation ?
- Quel pourraient être les points de bascule dans votre entreprise et à quel degré de probabilité/échéance… (définir le besoin de changement) ? Que pourraient-ils amener de bien dans votre entreprise ?
Une session test a été jouée lors du dernier Agile Playground Lyon du Club Agile Rhône-Alpes. Nous avons discuté pendant plus de 30mn après la fin du jeu et voici ce qui est remonté :
- A l’étape 1 et 2, les participants se sentent bien. Cependant plusieurs personnes n’étaient pas à l’aise avec l’idée de se rapprocher. Avec l’augmentation de la contrainte et d’espace, cette crainte s’est estompée.
Cela pose le sujet du sentiment d’appartenance dans des situations difficiles partagées; - A l’étape 2, lorsque l’on demande au groupe d’optimiser son placement alors que le contexte n’a pas changé et qu’aucun risque n’est apparu, nous avons observé et partagé que la réaction des joueurs fût très individualiste. Les joueurs et joueuses ont eu tendance à s’étendre sur l’île, à se créer un espace personnel confortable;
- L’organisation collective arrive vraiment lorsqu’on doit négocier son espace personnel (plusieurs personnes sur un seul carré). La pression crée le besoin de se réorganiser collectivement;
- Plusieurs points de bascule sont intervenus durant la partie. On observe que des règles tacites et implicites se créent par effet de leadership (difficile de définir qui a été leader à posteriori);
- Dans cette partie, j’ai laissé au groupe le choix de la case à enlever, ils avaient donc capacité à créer une stratégie ce qu’ils ont fait à certains points de bascule.
Si le/la leader avait bien une stratégie en tête, elle n’a pas été partagée. Les personnes ont donc suivi une stratégie fantôme itération par itération poussée par la pression de s’organiser; - Une personne s’est senti assez mal vers la fin du jeu à cause de la proximité physique. Pensez à proposer aux personnes qui se sentent mal à l’aise de sortir du jeu même si cela a un impact et amène un biais dans le jeu. Priorité à l’intégrité des personnes
Et pour finir, une question/suggestion apportée par mon ami Hervé Tran : doit-on toujours voir le changement par le risque et la pression ? Ne peut-on pas voir le changement par une vision positive, un souhait pour l’entreprise, une ambition positive ?
N’hésitez pas à tester le jeu et partager votre expérience, vos propres débriefs et observations !
Effectivement pourquoi toujours voir le changement par le risque, la pression et les contraintes ?
N’y a-t-il une alternative positive ?
A mon sens, une alternative positive est de passer par la raison d’être de l’organisation.
Comment les personnes sont-elles capable de se réorganiser une fois la raison d’être du collectif clairement établie ?
C’est peut-être une idée pour un autre jeu…